temps modernes
-
#LaBarricade
- Le 16/11/2015
- Dans Pneumatiques
- 7 commentaires
Je me suis souvent demandé ce qui pouvait être à l’origine d’une vraie révolte. Je veux dire l’événement déclencheur, le boutefeu, la dernière goute d’essence qui, débordant, enflamme la première bouteille incendiaire. S’agit-il du coup de poignard incertain d’un audacieux fantasque, du sursaut du dernier asticot de la lente décomposition de l'empire, de l’élégante désinvolture d’une génération turbulente, ou la chair aimable de jolies victimes ?
Toujours est-il que cette fois-ci, c'est par un simple hasard que cette barricade s’est improvisée au carrefour en bas de chez moi : je déménage. L’affaire n’a rien de prémédité. L’idée a surgi comme ça, à l’aube par un ciel dégagé, d’un bleu pâle de réveil. Quitter le malentendu de la ville m’a semblé être la seule aventure possible ; comme l’authenticité du désert s’impose à l’ermite. Si je dois résumer parfaitement mon état d’esprit dans l’urgence de quelques mots, je dirais : trouver une cabane sur les bords de mer et écrire l'ultime vers du dernier poète.
Je me suis donc mis à vider mon appartement de sa surcharge pondérale accumulée à force de modernité. Le socle de « La Barricade », - appelons-là comme ça puisque c’est ainsi que les journalistes la nommeront dans quelques heures - est constituée d’un énorme frigo américain ! Seul, il n’a rien d’inquiétant avec ses rondeurs. Mais l’américain grassouillet a vite été entouré d’une collection de cartons de livres insignifiants, d’une télévision grand-écran, de la collection lave-linge, sèche-linge, range-linge, lave-vaisselle, mange-disque. Etrangement, sans que cela ne me surprenne vraiment, quelques voisins discrets vinrent y agréger leurs encombrants, si bien que rapidement la construction s’est frayée un chemin vers les pavés de la rue qui l’accueillirent ès-fonction. « Belle barricade parisienne », souligna un guide japonais en passant avec sa section d’appareils photos.
A l’heure de l’apéritif, le patron du Café du Fashion Commerce, haut-lieu de la politique de quartier et rendez-vous de quelques happy few artistiques, planta un panneau [Art éphémère – Modern Utility movment] et mit deux de ces jeunes serveurs androgynes à prendre des photos où sa devanture et La Barricade se partageaient le premier rôle. Dès le début d’après-midi la popularité du hashtag #LaBarricade trouvait un écho chez les artistes, les communautaires et autres suiveurs patentés.
La Barricade fut à l’origine de ce que les promoteurs ont appelé : « la nuit des barricades.». Une soirée nationale qui commença vers 19h00, amalgamant le concept de la journée officielle des voisins à celui de la manifestation encadrée des indignés. Logotisée par une agence de pub, dans ce triste dégradé noir-gris-blanc, La Barricade devint étendard puis pancarte. Renoncement ultime, la presse titra : « La révolte est une performance comme une autre ».